“Le reste, c’est de la chimie” déclarait Paul Dirac après avoir formulé dans un formalisme simplifié les équations de la mécanique quantique. Cette allégation est fondée. Il “suffit” de résoudre l’équation de Schrödinger pour connaître le comportement des molécules. Fondée, oui, mais peu pertinente quand on connait la difficulté de résoudre une telle équation pour des molécules contenant plusieurs noyaux et plusieurs électrons. Ces dernières décennies, des efforts considérables ont été réalisés pour résoudre numériquement l’équation de Schrödinger pour des molécules de plus en plus grandes.
L’approximation de Born-Oppenheimer, la projection du problème dans une base de dimension finie et la théorie de la fonctionnelle de la densité permettent des modèles satisfaisants d’un point de vue théorique mais aussi numérique. En effet, ceux-ci rendent possible la résolution précise de la configuration électronique de nombreuses molécules de centaines d’atomes à l’état fondamental en environ une journée de temps de calcul. Ces avancées ont permis d’utiliser les qualités intrinsèques de la physique quantique dans l’étude de nombreuses réactions chimiques et de plus en plus dans l’étude de phénomènes biologiques.
L’équipe a récemment proposé une méthode de chimie quantique interactive. En effet, il est maintenant possible de résoudre la structure électronique d’un système de noyaux et d’électrons à un taux interactif pour des molécules contenant jusqu’à des centaines d’atomes. Cela a été fait dans le cadre d’une théorie semi-empirique appelée “Atom Superposition And Electron Delocalisation Molecular Orbital”. La chimie quantique intéractive est possible par l’utilisation de méthodes récentes du calcul scientifique. Un algorithme de type diviser-pour-régner permet de rendre l’effort de calcul seulement proportionnel à la taille du système. L’évaluation de la matrice de l’opérateur Hamiltonien projeté dans une base finie est rendu efficace par la décomposition des fonctions de base dans une base d’orbitales de type gaussienne. Des méthodes de calcul d’algèbre linéaire exploitant la hiérarchie des mémoires et les instructions parallèles des architectures modernes ont été mises en oeuvre.
Les intérêts de la chimie quantique interactive sont multiples. Principalement, l’utilisateur du logiciel développé par l’équipe NANO-D peut modifier la structure géométrique d’une molécule tout en visualisant en temps réel l’impact sur la structure chimique. De plus, les forces “quantiques” agissant sur les noyaux sont calculées en temps réels ce qui permet, soit de visualiser la dynamique moléculaire du système, soit de l’attirer dans des configurations stables par minimisation de l’énergie potentielle (la video illustre la chimie quantique interactive sur une molécule de benzene). Ces possibilités peuvent avoir un impact dans le domaine des nanotechnologies par l’aide à la conception de nouveaux objets à l’échelle atomique et par l’étude rapide des propriétés des systèmes considérés. Elles pourraient aussi avoir un impact très intéressant dans le monde de l’éducation. En effet, la chimie quantique interactive est une invitation à l’exploration intuitive et ludique du monde quantique par un formidable zoom en espace et en temps.